Découvrez les auteurs-compositeurs au répertoire desquels sera consacré le 1er Grand choral de la 4ème décennie des Nuits de Champagne. Un Grand choral exceptionnel pour partager l’interprétation des chansons de l’unique et sublime Barbara, de l’un des auteurs-compositeurs les plus créatifs et originaux de sa génération, William Sheller, de la singulière et touchante Émily Loizeau et de la dernière révélation consacrée par le métier et la critique, Juliette Armanet, qui revendique entre autres influences les répertoires de Barbara et William Sheller.



Barbara

Dans l’univers de la “chanson d’auteur”, Barbara est unique. Unique d’abord, car dans sa génération, elle est pratiquement la seule femme, avec Anne Sylvestre. Unique car elle est la seule à avoir fait ses gammes en chantant d’abord les chansons des autres avant d’écrire et de composer ses propres œuvres. Unique surtout en étant capable de toucher un très large public en lui racontant sa vie, sans pudeur, mais en sachant rester secrète. 
Sur scène, même lorsqu’elle occupait des grandes salles, comme le chapiteau de Pantin en 1981, Barbara savait s’adresser individuellement à chaque spectateur, dans un tête-à-tête amoureux qui générait une relation unique avec le public. Chacun repartait en s’émerveillant qu’elle ait su trouver les mots de son mal de vivre, de la perte d’un père ou d’un amour, ou encore de la rage d’un monde qui n’en finissait pas d’être en feu. Elle pouvait avouer à son public qu’il était sa “plus belle histoire d’amour”, mais une fois sa tournée finie, elle rentrait dans sa maison de Précy, ne voyait presque plus personne, refusait les émissions de télévision, avant de décider, après quelques années, de reprendre la route, de retourner à la lumière et de chanter ce qu’elle aimait à appeler ses “zinzins”. 

Comme celles de tous les grands auteurs-compositeurs-interprètes, les chansons de Barbara sont à la fois intemporelles et inscrites dans leur époque. Dès ses premières compositions, elle mêle des titres intimes (Nantes, A mourir pour mourir, Pierre, Dis, quand reviendras-tu ?, Une petite cantate) et des chansons qui évoquent le monde et l’histoire récente (Le verger en Lorraine, Tous les passants, Göttingen). Cette dualité se retrouvera tout au long de sa vie de “femme qui chante” comme elle aimait à se définir. Le versant intime est présent dans L’aigle noir, son plus grand succès, A peine, Madame, Drouot, Parce que je t’aime et beaucoup d’autres titres. Son ouverture au monde se retrouve dans Le soleil noir, La fleur, la source et l’amour, Regarde, Si d’amour à mort, Perlimpinpin, Le jour se lève encore. Malgré tout, elle n’oubliera jamais de glisser quelques chansons drôles dans ses tours de chant : Si la photo est bonne, Les mignons, Les rapaces, Hop-là, Mes insomnies, etc. 
Tous les “zinzins” de Barbara sont à jamais dans le patrimoine de la chanson française et en 2017, vingt ans après sa disparition, ils gardent leur force, leur poésie, leur folie et leur rage, comme s’il fallait montrer qu’on ne lui pardonne pas d’être partie, à moins qu’en réalité, elle ne soit jamais partie. 
Michel Tolila, spécialiste de Barbara, mai 2017.

 

William Sheller

Il lui arrive de se faire désirer. Parfois par choix, parfois malgré lui. Alors, pour patienter, on garde en mémoire des moments comme ces Victoires de la Musique 2016 : William Sheller y recevait une “Victoire d’honneur” pour ses 40 ans de carrière. Louane, Jeanne Cherhal et Véronique Sanson, représentant trois générations d’artistes féminines, avaient chanté des extraits de ses chansons. Avant d’interpréter lui-même Un homme heureux, William Sheller avait témoigné son amour pour le public en lançant un vibrant “je vous aime !”. Ces dernières années, des ennuis de santé ont parfois contraint le dandy cool à annuler des concerts. Pour le monde de la musique, il ne faut jamais s’absenter longtemps. Mais William Sheller ne s’en inquiète pas et s’amuse de cette image de solitaire vaguement misanthrope. En souriant, il précise : qu’il vit entouré de sa famille ; qu’il aime bien les gens ; qu’il a passé beaucoup de temps sur les routes à donner des concerts, en piano solo ou avec son quatuor à cordes. « Quand on donne 60 ou 80 concerts par an, on a une vie plutôt bien remplie, en rien celle d’un reclus. La scène est l’endroit où je me sens le mieux... »

Cette image a pourtant un fondement : “C’est un peu de ma faute, confesse-t-il, parce qu’après Rock’n’Dollars qui était une casserole en or aux fesses, il fallait absolument être le rigolo de service. Je me suis retiré de tout cela, il y a eu la fréquentation de Barbara et je me suis mis à écrire différemment. Je ne suis pas un mélancolique. Un homme heureux par exemple est une chanson d’espoir, un espoir timide de quelqu’un qui n’est pas trop sûr de son affaire. Je suis resté pendant un an à écouter la musique en boucle sans trouver de texte, mais je sentais que j’avais là quelque chose de beau. Et j’ai trouvé la phrase : je veux être un homme heureux. Le reste est venu facilement.”
Tout prédisposait William à faire carrière dans la musique classique. A 16 ans, il quittait le lycée pour s’y consacrer : fugue, composition, harmonie, contrepoint... Il se préparait pour le Grand Prix de Rome quand une bombe fit tout exploser : “J’ai entendu les Beatles. Et je ne voulais plus devenir un compositeur cherchant à atteindre des sommets en se déconnectant du monde. J’entendais des sons nouveaux et je ne voulais pas leur tourner le dos. C’est par là que ça se passait, avec les Beatles, Led Zeppelin, Procol Harum, Frank Zappa… ”. 
Bien qu’aimant se définir comme un homme d’un siècle passé, il a appris à maîtriser les machines du vingt-et-unième. Il compose sur ordinateur et utilise les logiciels les plus récents. Il conclut : “J’aimerais bien arriver à une certaine alchimie musicale où on puisse mélanger la pop, le rock et les grandes œuvres symphoniques sans que ça sonne ringard… Écrire une sorte de Sacre du Printemps moderne où l’on réunirait tout ce qui couine, tout ce qui coince, tout ce qui choque.”
D’après un portrait d’Universal Music France.

 

Émily Loizeau  

La parole est parfaitement articulée. Les mains scandent le propos, battant la juste mesure avec brio et orchestrant la démonstration avec une clarté d’évidence. Le phrasé du discours d’Émily Loizeau a tout de la maîtrise réfléchie de l’étudiante en philo qui entreprit un mémoire sur “La pensée indienne dans son rapport à Nietzsche et à Schopenhauer”. Sa voix est plus mutante, capable de chantonner un folk crissant, des comptines ravaudées ou des élégies sombres et perchées. La même distorsion se répète, côté physique. Le visage est structuré, expressif. Il impose une photogénie qui dévore les quatre coins de l’écran. Maigreur mange-tout, regard intense, menton plus exclamatif que point-virgule. Il ne viendrait à personne l’idée de contester l’intelligence renforcée que dégage de cette jeune femme quand vous la cadrez en plan américain. C’est quand elle redresse toute la hauteur de son 1,64m que l’effet Larsen joue à plein. Le personnage extrêmement constitué, musicalement initié et férocement cultivé, qui jongle avec les poèmes de William Blake et les citations d’Aimé Césaire, s’avère aussi une toute petite libellule, aux omoplates-castagnettes et aux mandibules de fée Clochette, qu’un souffle de vent pourrait rouler-bouler, la laissant hagarde devant sa vigueur .

Elle est d’une “féminitude” affirmée. Les thèmes de ses chansons y sacrifient. Elle parle d’enfance, de filiation, de transmission. Ou de la guerre en Syrie, mais comme d’un désastre au loin. Elle fait revivre son père disparu ou brode sur la sororité, celle qui l’unit à Manon, son aînée grand reporter ou à Camille, la musicienne, gestatrice complice, jumelle en enfantement. Émily Loizeau impose sa singularité sans concession sur la scène de la chanson française. Pour son dernier projet devenu album, “Mona”, elle a puisé dans son histoire familiale la matière à une pièce de théâtre et à des chansons où il est question de naufrages, de psychiatrie et d’hérédité. “J’adore toujours autant les concerts, mais je viens du théâtre et il y a une dimension que je n’avais pas encore pris le temps d’explorer”, explique la chanteuse qui a étudié dans une école de théâtre londonienne et a été l’assistante de Georges Aperghis, pionnier du théâtre musical. Car elle est londonienne par sa mère, et vendéenne par son père. Dans le bocage, on était paysans. Outre-Manche, la lignée était artiste. Côté musique, elle a commencé jeune à pratiquer le piano. “J’avais un jeu très intérieur. Je n’étais pas dans l’extase technique”. Elle appréciait Schumann, Schubert et Bach. Elle ne se voyait pas soliste, allait plutôt vers la musique de chambre. Et puis la chanson a tout bousculé. Elle aime Cendrars. Mais aussi Aragon, Baudelaire ou Blake. Elle a voyagé avec Tolstoï et Dostoïevski et cite aussi Le Clézio. Émily Loizeau veut bien sûr rester cette chanteuse et pianiste à la voix délicate, aussi à l’aise en français qu’en anglais, installée depuis dix ans dans le paysage musical français. Mais, la quarantaine venue, elle voit plus large : avant “Mona” elle avait donné une lecture théâtrale consacrée aux textes de Lou Reed. De son père, lui vient aussi une connaissance charnelle de la politique. Et, c’est ensemble qu’ils défendaient les sans-papiers. Aujourd’hui, elle se dit écolo, mais en phase avec une génération suspicieuse envers les pouvoirs, elle s’interdit les comités de soutien aux présidentiables. Elle a posé ses malles au loin, sur les hauteurs de l’Ardèche. Dans cette ancienne magnanerie, elle tisse de silence et de solitude, l’étoffe de son indépendance.

D’après Luc Le Vaillant (Libération) et Culturebox


Juliette Armanet

Son premier album, “Petite amie”, est un coup de force et la place résolument comme l’une des tenantes de la nouvelle garde de la chanson française. Récemment, Juliette Armanet a mis de l’ordre dans ses papiers. Elle est retombée sur des lettres, des petits mots accumulés depuis l’adolescence, lorsqu’elle vivait encore dans une maison de la banlieue de Lille avec ses parents et ses deux grands frères. Sur l’un d’eux, la jeune fille, alors en troisième, avait écrit, répondant à la question “Que voulez-vous faire plus tard?” : “Journaliste et chanteuse.” Un rêve de jeune fille, une position totale, Alice devant et derrière le miroir. Mettre en valeur les autres ou être soi dans la lumière? Longtemps, Juliette Armanet n’aura pas tranché, menant de front journalisme et chanson, sans totalement oser se jeter dans son art. “Mon père m’a toujours dit : ‘Il faut consentir à soi-même’. C’est le gros de mon chemin”, raconte la jeune femme que l’on retrouve à la brasserie Barbès, à deux pas de l’appartement qu’elle partage avec son copain, dans le XVIIIe arrondissement parisien. “J’ai mis pas mal de paravents, par pudeur, pour pas qu’on me prenne au sérieux et sûrement pour me protéger de mes émotions.”

 

On le sent très vite : chez Juliette Armanet, 33 ans, les émotions sont fortes, très fortes, et peuvent tout emporter. C’est cette puissance et cette vérité de soi jetées si justement, si sincèrement sur partition qui font aujourd’hui la beauté effarante de ses chansons, de ses piano-voix à l’écriture ciselée qui touchent en plein cœur : L’amour en solitaire, Alexandre, Manque d’amour… autant de titres rassemblés sur son premier album, “Petite amie” sorti ce printemps. Tantôt disco, tantôt piano solo, il est un des plus beaux qu’il vous sera donné d’écouter, côté français, cette année. Il rappelle les grandes heures de la chanson française, des Souchon, Berger, Sheller. Mais pas seulement. Il y a une vraie singularité chez Armanet, une façon très personnelle d’écrire et de déporter la variété française vers des influences contemporaines, de la twister. “J’ai mis du temps à trouver un ton décalé. Je ne voulais pas faire vieille chanteuse, avoir l’air trop tradi. J’avais envie que mes amis écoutent ma musique”. Juliette Armanet n’a pas peur des défis : elle s’est vue confier le vertigineux honneur d’interpréter L’aigle noir dans l’album “Elles et Barbara” (où interviennent également, entre autres, Zazie, Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal ou Louane), l’un des hommages les plus attendus de cette “année Barbara” (parution le 9 juin 2017).

D’après Géraldine Sarratia (Les Inrocks)  
 

 

 
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